La Malle Mystérieuse


Qui n’a jamais rêvé de découvrir une malle au trésor ? 

Quel enfant, même devenu grand, n’a jamais imaginé mettre au jour une collection unique au monde ?








A l’hiver 2011, de passage dans le sud de la France pour un court séjour dans notre maison de famille, je repensai à cette malle en bois que j’avais aperçue plusieurs fois au cours de mon enfance. Elle faisait partie des breloques ayant appartenu à mon arrière-grand-père, un militaire de renom dont je ne connaissais à peu près rien, sinon le visage, qui trônait dans un cadre imposant sur le mur de notre salon. A l’étage de cette bâtisse, se trouvait une pièce fermée à double tour, qui avait dû être un bureau autrefois. Y étaient entreposés divers objets poussiéreux, un costume militaire, un paravent japonais, un sabre et une réplique de porte-avions. Cette malle était dans un coin, recouverte d’une nappe en satin défraîchi. Nous ne l’ouvrions qu’en de rares occasions. Lorsqu’un hôte de choix se présentait ici, nous lui faisions les honneurs, lui dévoilant religieusement le contenu de cette caisse, armés d’une lampe de poche pour en souligner quelque détail. Souligner la vivacité des couleurs, la finesse d’un visage, l’habileté du sculpteur, apporter quelques précisions maladroites aux questions posées. Puis nous refermions le tout avec minutie, tel un couvercle sur son aura. Nous rendions ce trésor à son obscurité protectrice. Ainsi cette malle avait-elle vécu depuis plus de soixante-dix ans, transmise de génération en génération, entre mémoire et oubli. A demi-cachée, à demi-montrée. 

Que contient-elle ? Très exactement 109 figurines, sculptées à la main dans du bois de fusain, puis peintes et décorées. Un travail d’une finesse extrême. Leur taille, 8 à 10 cm chacune. Le contenu de la malle est distribué sur  trois plateaux superposés. Chacun contient une trentaine de pièces, solidement accrochées au plateau par un système de petites cordelettes fixées sur le socle des figurines.  Sont représentés ici des pans entiers de la société shanghaienne dans ses multiples occupations. Ces personnages sont notables, paysans, religieux, colporteurs ou artisans… Des scènes de la vie quotidienne égrènent aussi cette grande fresque populaire. Un père et son fils font voler un cerf-volant. Une mère, l’ombrelle dans une main, tient tendrement son fils de l’autre. Une douzaine de scènes de « supplices chinois » complète le tableau. Lorsque nous les apercevions, ces scènes ne manquaient jamais de donner à nous autres enfants un frisson d’horreur ou de coupable émerveillement. Ces châtiments peuvent être symboliques. Une natte coupée, une fessée au bambou. Mais ils peuvent être aussi cruels. Suspension par le cou, œil crevé, corps coupé en deux dans le sens de la hauteur. On songe aux supplices de l’Inquisition.

Beaucoup de ces personnages sont facilement identifiables. Des joueurs de mah-jong au prêtre daoiste, du laboureur au mandarin. Mais nombre de figurines recèlent plus de mystère. Certains métiers, par exemple, apparaissent totalement étrangers à l’observateur occidental contemporain, tout comme la trentaine d’inscriptions relevée. Idéogrammes chinois ou simple exercice calligraphique : impossible de le dire pour un œil non expert. 

Cet hiver-là, la curiosité m’incita à me renseigner sur l’origine de l’objet. Je savais que la malle avait été offerte à mon arrière-grand-père, l’amiral Jules Le Bigot. Il avait été Commandant en chef des[1]  Forces navales d’Extrême-Orient entre 1937 et 1939. Sur le couvercle de la caisse, quelques indices s’offraient à moi. Une étiquette jaunie, sur laquelle étaient imprimés en haut à gauche ces quelques mots : « ORPHELINAT DE T’OU-SÈ-WÈ. ZI-KA-WEI – SHANGHAI ». A droite, à la plume, « le 23 juin 1938 ». En dessous, toujours à la main, « Amiral Le Bigot ». Il y avait donc une série d’énigmes à explorer et à résoudre. Comment le lien s’était-il établi entre cette malle et l’amiral Le Bigot ? Quel avait été le parcours de cet officier de marine perçu jusqu’alors comme un aïeul lointain, certes prestigieux, mais dont les hauts faits surnageaient avec peine du flot de l’oubli. Il fallait aussi tenter de déchiffrer plus systématiquement le contenu de la malle et comprendre ce qu’elle représentait.

Je décidai dans un premier temps de ramener la malle à Paris pour pouvoir l’étudier. Heureuse intuition, car quelques jours plus tard, de violentes pluies s’abattirent sur notre maison de famille et provoquèrent un important dégât des eaux dans la pièce où les figurines avaient séjourné durant des décennies. Peut-être était-ce là un signe qu’il me fallait à tout prix préserver cet héritage historique ! Je pris alors contact avec des historiens qui pourraient m’éclairer sur le pourquoi et le comment de cette collection.

C’est ainsi que de la rencontre avec Christian Henriot, historien de la Chine contemporaine, est né ce projet d’ouvrage et d’exposition. Nous avions un puzzle à reconstituer à quatre mains. Il nous fallait désormais enquêter. Aux archives diplomatique de Nantes, nous trouverions les échanges diplomatiques de l’époque, aux Service Historique des Armées, le dossier de carrière de l’amiral Le Bigot et les rapports sur le conflit sino-japonais, dans la presse de Shanghai, les nouvelles sur la mission de l’amiral et le quotidien de la guerre, aux archives jésuites de Vanves, des indices sur la conception de cette malle, enfin, dans les mémoires de marins, les anecdotes peronnelles.                                                                                

                                                                                          

                                                                                                                                           Ivan Macaux